Notre aventure
Amis dans la vie, Steven Le Hyaric et Perrine Fages sont parvenus début juin à relier Lhassa à Katmandou en passant par la Friendship Highway. Une performance inédite réalisée en six jours et ponctuée sur un parcours perché entre 4 et plus de 5 000 m d'altitude, entre lacs sacrés et monastères.
Relier Lhassa à Katmandou n'est certes pas le circuit touristique le plus fréquent mais il est pourtant au catalogue de quelques voyagistes. Certains, encore plus fous, ont relevé le défi de parcourir la distance à vélo et en moins de six jours. Unis par le goût de l'effort et des voyages, Steven Le Hyaric et Perrine Fages - qui sont amis dans la vie - se sont lancés à l'assaut de ce périple ô combien sinueux.
De son côté, Steven Le Hyaric n'en est pas à son premier fait d'armes en la matière puisqu'après avoir roulé à VTT sur le Great Trail Himalaya ou dans le désert du Sahara, il effectué le Paris-Dakar en un temps record pour alerter sur le réchauffement climatique. Son acolyte Perrine Fages est quant à elle fortement prise par son métier d'avocate qui lui impose de strictes contraintes de temps. Ce qui oblige le duo à penser de nouveaux formats d'aventure.
Entre Lhassa et Katmandou, le résultat de leur traversée est éloquent et parle de lui-même pour comprendre la nature de leur effort. 1207 kilomètres parcourus, dont 500 d'ascension et 200 de Gravel, 30h de sommeil en six jours, le tout au-dessus de 4200 mètres d'altitude. Dix cols, dont six au-dessus de 5000m. « Localement, ce qui impressionnait les gens, dit Steven, c'est que le trajet est supposé prendre sept jours en voiture. » À cette altitude même la mécanique s'essouffle.
La spiritualité contre le musée
L'arrivée à Lhassa inspire des sentiments en demi-teinte à Steven Le Hyaric, qui est très branché bouddhisme et méditation. Au pied du Potala, cet incroyable monastère-forteresse qui fut la résidence d'hiver du Dalaï-Lama jusqu'en 1959, la vaste esplanade où prièrent, manifestèrent et parfois s'immolèrent tant de moines, est transformée en parking.
« C'est l'impression d'arriver trop tard, après le passage de l'histoire »
Bitume et lignes blanches bien nettes veulent ensevelir la spiritualité. « On va chercher un dépaysement, on en trouve un autre, dit Le Hyaric. C'est l'impression d'arriver trop tard, après le passage de l'histoire. Pour moi, le Potala, c'était Tintin au Tibet et Alexandra David Niel. » Aujourd'hui les fidèles y viennent toujours en pèlerinage, mais le Potala est un musée sans craquelures.
« Et pour passer d'un quartier à l'autre, les Tibétains "badgent" ! La spiritualité reste un sujet sensible pour le gouvernement chinois. Perrine et moi étions fascinés par ces fidèles parcourant les chemins de prière et se jetant au sol tous les trois pas, les mains jointes, dans une ville sous surveillance. » se souvient l'aventurier.
Altitude attitudes
C'est la tête pleine de ces images, et pleine d'humilité peut-être, que Perinne et Steven enfourchent leur vélo à l'aube du premier jour, direction la « Friendship Highway ». Tel est le nom qui fut donné à la route Lhassa - Katmandou lors de sa construction dans les années 1960. L'objectif était de faciliter le commerce entre les deux capitales : à dos de yacks ou de porteurs, cela représentait 45 jours de voyage.
Les deux cyclistes pédalent de l'aube au crépuscule. Rouler 200 à 300 km sur cet étrange balcon autoroutier perché entre 4 et 5000 mètres d'altitude est une exigence inouïe pour le corps. De plus, de fréquents contrôles de police les interrompent dans leur traversée.
Le guide, imposé par la législation (il n'est pas possible de voyager seul au Tibet) joue son rôle : il facilite les discussions avec les autorités, mais s'interpose entre les voyageurs et les populations dont Steven aimerait s'approcher plus spontanément.
« Un fabuleux voyage en bordure de l'interdit »
Le panorama les console, qui chaque jour égrène, tour à tour proches et inaccessibles, les plus hauts sommets du monde. Le matin où, partis à cinq heures, ils arrivent au poste-frontière de la région de l'Éverest, le fonctionnaire dort sur sa table, et n'est pas très heureux qu'on le réveille. Ils espèrent monter à vélo au camp de base de l'Éverest.
Mais, dans le cadre d'une campagne pour « nettoyer le toit du monde », les deux derniers kilomètres sont interdits aux touristes. Il faut négocier. À 5000 mètres d'altitude, la visite du monastère de Rongbuk les émeut. Isolé de tout et rendu minuscule par la présence écrasante de l'Éverest, le lieu où s'égaillent aussi les tentes multicolores des alpinistes « éveillerait les esprits les plus bornés ».
Après l'imposant poste-frontière avec le Népal, Perinne et Steven n'ont plus que quelques kilomètres de piste caillouteuse pour lever la poussière et profiter du calme. Bientôt le bitume impeccable de la route Araniko se couvrira à nouveau de camions et avec l'altitude, les deux amis perdront le sentiment d'être seuls au monde.
Ce que garde Steven Le Hyaric, c'est le sentiment d'avoir, dans ce pays aussi sublime que tendu , une sorte de limite. « Un fabuleux voyage en bordure de l'interdit, et des mes moyens physiques : Rouler toujours à l'altitude du Mont Blanc c'est littéralement changer d'échelle ».
Source - L'Équipe