LE REGARD DE L'EXPERT : LA MUSCULATION PAR NICOLAS FRITSCH
Après une semaine d'absence, voici une nouvelle édition du Regard de l'expert sur stevenlehyaric.net, et qu'elle édition puisque cette semaine c'est Nicolas Fritsch, ancien 3e du Tour de Suisse, vainqueur du Tour du Finistère et j'en passe. Un coureur qui était pour moi l'un des plus gros potentiels du cyclisme français à une époque ou cela roulait très vite..
Aujourd'hui coach, Nicolas pratique et conseille de nombreux athlètes dans leur recherche d'optimisation de performance, de santé et de perte de poids dans la société Fitnext.
Il nous parle aujourd'hui de musculation, un thème qui touche pratiquement tous les sports, de la course à pied, au vélo en passant par le tennis et le scrabble.
Nicolas, tu étais un des meilleurs cyclistes français de ta génération, une époque où la musculation était beaucoup moins utilisée qu’aujourd’hui, le regrettes-tu ?
En réalité j'ai presque toujours pratiqué la musculation ! Je me souviens même de Jalabert qui en faisait en saison lorsqu'il avait suffisamment de temps entre les courses.
Il me semble que je m'y suis mis en sortant des juniors (ça commence à dater!), et j'en faisais l'hiver pendant 2/3 mois, c'est à dire en novembre, décembre et jusqu'en janvier.
Après j'arrêtais, faute de temps et d'énergie...mais c'était une erreur car je suis maintenant persuadé qu'il faut continuer toute l'année, à raison d'une séance toutes les semaines ou toutes les deux semaines (contre trois fois par semaine pendant le gros de la préparation).
Il faut 2 à 3 mois pour ressentir de réels progrès en musculation, et c'est là que j'arrêtais !
De plus cela revient à tout recommencer à zéro chaque année, ce qui limite fortement la progression évidemment. Le fait d'en faire régulièrement tout au long de l'année permet au moins de maintenir son niveau et d'espérer progresser d'hiver en hiver en repartant d'un peu plus haut à chaque fois.
Je pense aussi que la musculation a la capacité de contre balancer les effets négatifs d'un excès d'activité de type "cardiovasculaire" au niveau hormonal notamment (testostérone/cortisol). Bref, cela booste et évite de devenir "mou"! Une petite séance de 45' est suffisante, en y mettant une bonne intensité.
La musculation « vélo » n’est donc pas suffisante ?
En réalité il ne faut pas chercher à reproduire en musculation ce que l'on peut déjà faire sur un vélo. Monter des côtes avec un gros braquet permet de développer une force importante sans être trop sollicitant au niveau cardiovasculaire (on peut travailler à des niveaux de force que l'on retrouve en PMA tout en étant bien plus bas au niveau cardiaque), pas la peine de faire la même chose en salle avec des séries longues et une charge moyenne. Il faut en profiter pour mettre vraiment lourd et du coup jouer sur l'aspect coordination et facteurs nerveux. Il a été prouvé que cela améliorait le rendement et les performances. En gros on a besoin de moins d'énergie pour aller à la même vitesse grâce à une meilleure synchronisation nerveuse et musculaire.
Mettre lourd en accomplissant des exercices complets et non guidés (squats, squats clavicule, soulevés de terre mais également développé couché, rowing et même tractions, dips ou pompes) sollicite énormément la ceinture abdominale et tous les muscles posturaux, bien plus que le gainage pur finalement. Et on sait bien qu'être gainé permet d'être stable sur son vélo, le bassin bien fixé, et dans une position optimale pour développer de la puissance!
Qu’est ce que la musculation aurait pu t’apporter ?
Et donc la musculation faite intelligemment aurait pu m'apporter ce qu'elle m'apporte maintenant. Sauf que maintenant je n'ai plus aucun objectif ni aucune ambition !
Je me sens paradoxalement bien plus "fort" aujourd'hui qu'avant...attention c'est relatif évidemment. Je suis nettement moins bon (surtout dans les bosses!), mais pour le peu que je fais je trouve que je reste efficace dans l'effort ce qui n'était pas toujours le cas avant.
Quelle doit être, selon toi, la part de la musculation dans le volume total d’entrainement ?
Il faut toutefois garder à l'esprit qu'un cycliste doit prioriser l'activité cycliste. La musculation s'adresse à ceux qui ont du temps, qui peuvent se permettre de s'y consacrer suffisamment pour que cela soit efficace et rentable. Si c'est pour y aller une fois de temps en temps et de manière anarchique alors autant ne pas y aller car faut savoir que la musculation est coûteuse au niveau énergétique et nerveuse...autant garder ses forces pour le vélo !
Doit-on prendre le réflexe de transformer rapidement la puissance acquise en tonicité dans notre sport favori ?
Je ne suis pas super convaincu de la notion de "transfert" immédiat, mais oui il vaut mieux continuer à rouler quand on fait de la musculation pour rester efficace dans le pédalage et ne pas "s'enraidir".
Petit avantage à partir rouler juste après la musculation: c'est très efficace pour s'affûter car le boost hormonal provoqué par la musculation va aider à mettre en circulation du gras...que l'on va brûler en roulant!
J’ai souvent entendu que chez les cyclistes pratiquant la musculation l’hiver, les tendinopathies étaient plus fréquentes, surtout rotuliennes, qu’en penses-tu ?
Encore une fois, mieux vaut ne pas faire de musculation qu'en faire peu et/ou mal !
Quand j'ai dit qu'il fallait mettre lourd, c'est vrai, mais cela passe par une première phase d'apprentissage technique et d'augmentation progressive des charges.
Mais c'est comme en vélo et dans n'importe quel sport finalement, d'abord on acquiert la technique et on fait les bases, puis on monte en intensité parce qu'on est prêt pour cela.
Il ne faut donc pas mettre la charrue avant les boeufs!
Encore une fois, c'est bien pour cela que je ne conseillerais pas la musculation si on n'est pas sur de pouvoir se tenir à un programme cohérent et si on a peu de temps à consacrer à son sport. Vouloir faire tout et n'importe quoi dans la précipitation et sans s'accorder les temps de repos nécessaire entre les séances est effectivement un bon moyen de se blesser à terme!
Le travail croisé est donc la solution pour moins se blesser ?
Si on respecte les bases techniques et un programme cohérent, je pense que la musculation est justement, et à l'inverse de ce qu'on a dit au-dessus, un bon moyen de prévenir les blessures.
Effectuer des mouvements globaux et amples aide à rééquilibrer le corps et le rapport de force entre les différents muscles.
De plus, la musculation renforce l'appareil ostéo-tendineux, on la conseille d'ailleurs pour lutter contre l'ostéoporose.
Quels sont tes conseils en terme d'alimentation : avant, pendant et après une séance de musculation ?
Il peut être intéressant de consommer une boisson énergétique durant la musculation, car celle-ci est vorace en sucres, et se retrouver en "fringale" en pleine séance ne vous permettra pas de la compléter et donc vous progresserez moins.
Autant il peut être intéressant de rouler en étant limite au niveau énergétique pour reproduire des situations que l'on va retrouver en course, autant cela n'a aucun intérêt en musculation où il faut justement être capable de mettre un maximum d'intensité.
Ceci-dit nous sommes tous différents au niveau énergétique et au niveau de l'économie de l'énergie, certains n'auront donc besoin que d'eau quand d'autres ne pourront se passer d'un apport énergétique.
On nous martèle souvent qu'une supplémentation en protéines et BCAA est-elle indispensable, est-ce une réalité ?
Là aussi il n'y a rien d'indispensable !
Je conseillerais tout de même d'en prendre durant la première phase d'un programme de musculation, celle qui consiste à faire les fondations et qui constitue une forme d'hypertrophie (prise de masse). Prendre des BCAA juste après la séance va instaurer un climat hormonal favorable à la construction musculaire et les protéines (isolat de whey dans l'idéal, pure, digeste et rapidement assimilable) que vous prendrez 20 à 30' plus tard seront optimisées pour réparer les muscles endommagés et les rendre plus forts.
Que penses-tu de l’électrostimulation ?
Bof, bof, sauf incapacité physique ou immobilisation. L'aspect nerveux des choses est important, or dans ce cas la contraction n'est pas volontaire, on zappe donc une grande partie de l'intérêt de la musculation.
Sans compter que l'impact postural est ici nul!
Tu pratiques le cycling ou RPM assez régulièrement, c’est un apport intéressant pour les sportifs ?
J'ai beaucoup pratiqué jusqu'à peu et c'est effectivement une activité intéressante pour se maintenir en forme. Même en ne roulant pas pendant des mois j'étais efficace dès ma "reprise" sur route, y compris sur des longues distances. Bon évidemment les kilomètres accumulés durant des années restent en mémoire dans le corps et chez un novice les effets ne seront pas les mêmes.
L'avantage est donc que l'on se maintient (à condition de jouer le jeu et de s'engager pleinement), l'inconvénient est que l'on n'y travaille pas une qualité en particulier.
Mais quand on habite à Paris on est bien content de pouvoir pédaler au chaud et dans une bonne ambiance quel que soit le temps !